Photographie lunaire en haute-résolution – Partie 1
Photographier la Lune en haute résolution nécessite d’optimiser toute la chaîne impliquée dans l’obtention de l’image finale
Cette suite d’articles décrit ma démarche, les concepts, matériels et logiciels mis en œuvre afin d’atteindre cet objectif
Avant d’atteindre le système optique les rayons lumineux issus des objets célestes traversent notre atmosphère dont les effets ont un impact sur l’image finale. En imagerie planétaire (et donc lunaire) deux effets sont prépondérant : la turbulence et la dispersion atmosphériques
Turbulence atmosphérique (seeing)
La turbulence résulte de mouvements aléatoires de l’air dus à des différences de température, dont la conséquence est que les rayons ne convergent plus en un point, mais dans une zone, plus ou moins grande en fonction de l’intensité de la turbulence. L’image obtenue sera plus ou moins nette (ou plus ou moins floue) suivant l’intensité de la turbulence.
La couche d’air à traverser étant moins importante quand un objet est plus haut dans le ciel, la turbulence y sera moins élevée, d’où l’intérêt de travailler au plus près du méridien. La turbulence augmente d’un facteur x1.55 quand on passe du zénith à une hauteur de 35°.
Pour la Lune il est recommandé une déclinaison < 20° et proche du méridien, le premier quartier fin hiver/printemps, le dernier quartier en été/automne
La turbulence diminue d’un facteur x1.55 quand on passe du bleu au rouge, d’où l’intérêt d’utiliser un filtre vert ou rouge (et même dans le proche IR) pour en diminuer l’effet sur l’image finale.
On définit Tc = temps de cohérence, c’est le temps le plus grand durant lequel, en première approximation, la turbulence n’aura pratiquement pas évoluée, donc pour figer la turbulence il faut que le temps de pose Tp < Tc.
Tc augmente avec la longueur d’onde, on peut donc poser plus longtemps dans le rouge que dans le bleu, pour les longueurs d’ondes qui nous intéressent on a un ordre de grandeur 3 ms < Tc < 10 ms
Dans la pratique le temps de pose Tp sera beaucoup plus important que le temps de cohérence Tc à cause du bruit de lecture de la caméra : 20 ms < Tp < 40 ms
Il est évident que la turbulence diminue la résolution théorique de l’instrument.
L’objectif sera donc de prendre un grand nombre d’images afin d’en obtenir où la turbulence sera figée et proches de la résolution théorique : ce sont les images qui seront conservées pour créer l’image finale
Dispersion atmosphérique
En traversant l’atmosphère les rayons lumineux sont plus ou moins dispersés suivant leurs longueurs d’ondes et l’incidence avec laquelle ils pénètrent dans l’atmosphère, elle est visible par des liserés colorés sur les bords d’une image planétaire. La dispersion est d’autant plus importante que l’objet photographié est bas dans le ciel
L’image suivante montre la dispersion en fonction de la longueur d’onde et la hauteur
Image tirée de l’article http://www.astrosurf.com/prostjp/Dispersion.html
Pour qu’elle ne soit pas visible sur l’image finale, il faut qu’elle soit inférieure à la résolution de l’instrument. Pour le C11 que j’utilise on a le tableau suivant qui donne la hauteur minimum en fonction de la longueur d’onde
Luminance | 72° |
Bleu | 60° |
Vert | 37° |
Rouge | 27° |
On voit également ici l’intérêt d’utiliser un filtre vert ou rouge
Même si la turbulence ne permet pas en général de pouvoir exploiter la résolution théorique de l’instrument, certaines nuits de turbulence très faible permettront de capturer certaines images proches de la résolution théorique, et dans ce cas il convient de minimiser la dispersion qui devient alors le facteur prépondérant de la dégradation de l’image.
Pour aller plus loin dans la diminution de cette dispersion on utilise alors un correcteur de dispersion atmosphérique (ADC en anglais : Atmospheric Dispersion Corrector).
Un ADC est composé de deux prismes contrarotatifs permettant de corriger ce chromatisme.
J’utilise celui de Pierro Astro
Un excellent article sur la dispersion atmosphérique et l’utilisation d’un ADC
Un autre article mais en anglais où il est question de l’ADC de Pierro Astro
L’image suivante en montre le principe :
Image de la revue Ciel & Espace du 10/2011
Turbulence interne
Il y a effet de turbulence dans le tube dès que le miroir est plus chaud de 2°C par rapport à la température ambiante, aussi une ventilation forcée du miroir est conseillée à partir de D = 250 mm afin de réduire la mise en température qui peut sinon prendre plusieurs heures
Pour un Celestron EdgeHD il existe le système TEMP-est
Résolution
Dans le cas de la photographie lunaire la résolution correspond au plus petit détail enregistrable au plan focal du télescope. Précisons bien que ce qui suit est valable en photographie planétaire.
Plusieurs facteurs déterminent cette résolution :
- La turbulence
- La qualité du système optique du télescope
- L’ouverture et la focale du télescope
- La précision du focus
- La précision du suivi
- Le temps d’exposition
- La taille des pixels de la caméra
- L’adéquation entre le télescope et la caméra (échantillonnage)
- Le rapport signal/bruit des données capturées
- Le traitement après acquisition
On distingue :
- La résolution angulaire : c’est l’angle minimum qui sépare deux points situés au loin et que l’on distinguer. Elle est déterminée par le diamètre du télescope suivant la formule :
Rα = résolution en arc seconde ″
λ = longueur d’onde de la lumière en nm
D = diamètre de l’optique en mm
.
La formule montre que la résolution optique est meilleure pour les petites longueurs d’ondes, donc meilleure dans le bleu que dans le rouge. Pour le C11 (D = 279.4 mm) cela donne :
.
– Rouge (650 nm) : Rα = 0.59″
– Vert (550 nm) : Rα = 0.50″
– Bleu (450 nm) : Rα = 0.41″
. - La résolution linéaire : dans le cas de la Lune c’est la taille plus petit détail discernable au plan focal du télescope. La taille linéaire d’un détail vu sous un angle α est donnée par la formule :
l : taille en mm
F : focale en mm
α : taille angulaire en degrés
.
Les tailles angulaires des objets vus par les télescopes sont inférieures à 2 °, ce qui fait que l’on peut écrire tan α = α, si α est exprimé en radians, comme on est souvent avec des angles exprimés en secondes d’arc ″, la formule devient
l : taille en mm
F : focale en mm
α : taille angulaire en secondes d’arc ″
.
Pour la résolution linéaire on obtient la formule :
Rl : taille en μm
FD : rapport F/D
λ = longueur d’onde de la lumière en nm
.
Pour le C11 (FD = 10) cela donne pour la résolution linéaire :
.
– Rouge (650 nm) : Rl = 7.94 μm
– Vert (550 nm) : Rl = 6.72 μm
– Bleu (450 nm) : Rl = 5.50 μm
Il faut bien comprendre que le plus petit détail qui sera capturé dans l’image correspond à la résolution angulaire de l’instrument, elle ne dépend uniquement que du diamètre de l’instrument.
La résolution linéaire est la taille dans le plan focal de ce plus petit détail, elle est déterminée par le rapport d’ouverture F/D, augmenter ce rapport va augmenter la taille linéaire mais ne permet pas d’avoir plus de détail. La résolution linéaire est prise en compte quand on parle d’échantillonnage lié à la taille des pixels de la caméra qui capture les images.
Ceci suppose qu’un point lumineux donne un point sur l’image, alors qu’en réalité on obtient un petit disque, le disque d’Airy qui est le plus petit élément d’une image que peut former un télescope à cause de la diffraction
Un détail d’une image planétaire est formée par une multitude de disques d’Airy qui se recouvrent plus ou moins, cela fait qu’au final on pourra distinguer sur une image des détails plus petits que l’annonce la théorie. La formule suivante est retenue sur le plus petit détail observable dans une image :
Rlimit : taille en nm
FD : rapport F/D
λ = longueur d’onde de la lumière en nm
.
Pour le C11 (FD = 10) cela donne pour la résolution linéaire à ce rapport :
.
– Rouge (650 nm) : R10 = 6.63 μm
– Vert (550 nm) : R10 = 5.61 μm
– Bleu (450 nm) : R10 = 4.59 μm
Ce sont les valeurs limites que peut donner l’instrument à FD = 10 sans tenir compte de la turbulence qui malheureusement dégrade l’image
Echantillonnage
L’image capturée par la caméra est composée de pixels de la taille des photosites du capteur de la caméra. Pour enregistrer le plus petit détail planétaire que le télescope peut délivrer il faut que la taille du pixel soit inférieure à la résolution linéaire limite RFD pour un rapport F/D donné
Chaque pixel est un échantillon de l’image totale, cet échantillon de forme carré en général, ne contient qu’une information de type luminosité : pour qu’un détail soit visible il faut qu’il occupe plusieurs pixels.
Il va donc falloir ajuster le rapport FD pour que la taille du plus petit détail que fournit le télescope soit suffisante pour occuper plusieurs pixels et être ainsi visible dans l’image.
La théorie de l’échantillonnage précise qu’un échantillon doit être deux fois plus petit que le plus petit élément à échantillonner, dans notre cas il faut donc que RFD occupe au moins deux pixels.
Cela c’est la théorie, la pratique montre que si l’on veut mettre en valeur le plus petit détail en photographie planétaire il faut utiliser plus de pixels, c’est-à-dire suréchantillonner.
Quand on suréchantillonne on étale le flux lumineux sur plus de pixels, on diminue alors le rapport Signal/Bruit, il faut donc trouver le bon compromis.
La pratique montre qu’un échantillonnage d’environ x3.5 fois plus petit que la résolution de l’instrument, cela donne des bons résultats, soit :
E3.5 = Rα / 3.5
Pour le C11 cela donne (calculée pour une longueur d’onde λ = 550 nm) :
E3.5 = 0.50 / 3 = 0.14″
On rappelle que la valeur de l’échantillonnage en arc secondes (angle capturé par un pixel) est donné par la formule :
E = échantillonnage en ″
p = taille d’un pixel en μm
F = focale en mm
On en déduit la focale résultante :
Avec le C11 je vais utiliser la caméra IDS 3240LE-NIR qui capture des images avec des pixels carrés de 5.3 μm de côté.
Pour obtenir l’échantillonnage E3.5 il faudra donc une focale F3.5 = 7800 mm. La focale de base du C11 étant de 2800 mm cela correspond à un rapport FD = F/D = 27.9, rapport atteignable avec une barlow de facteur x2.79
Cette valeur de barlow n’est utilisée que pour obtenir le plus petit détail possible de la Lune
La mise-au-point
Si l’on veut obtenir un maximum de détails dans l’image, une mise-au-point rigoureuse est nécessaire, il est alors utile de connaître la tolérance de mise au point, c’est-à-dire la zone dans laquelle on considère que l’image reste nette.
On lira avec intérêt cet article : Tolérance de mise-au-point
En utilisant la méthode la plus restrictive on obtient le tableau suivant :
Suivant la tolérance que l’on estime on peut compter sur une zone de mise au point de :
- Sans barlow (F/D = 10) : entre 28 μm et 75 μm (réglage de ±15 μm à ±37 μm)
- Barlow x2 (F/D = 20) : entre 110 μm et 300 μm (réglage de ±55 μm à ±150 μm)
- Barlow x2.79 (F/D = 27.9) : entre 215 μm et 590 μm (réglage de ±107 μm à ±295 μm)
- Réducteur x0.7 (F/D = 7) : entre 14 μm et 37 μm (réglage de ±7 μm à ±18 μm)
Champ capturé
Il est important de connaître le champ capturé afin de savoir si la zone que l’on veut photographier tiendra dans l’image.
Pour illustrer différentes configurations j’ai réalisé des captures d’images à partir du logiciel « Atlas Virtuel de la Lune » sur une zone centrée autour du cratère Copernic.
Le diamètre moyen apparent de la Lune est de 31′.4 pour un diamètre moyen de 3474 km, soit 1.844 km par seconde d’arc.
Le champ capturé par le télescope est donné par la formule :
- L : longueur ou largeur du capteur en mm
- F : longueur focale de l’instrument en mm
- FOV : champ en arc-secondes
Le capteur de la caméra IDS 3240LE-NIR mesure 6.784 mm x 5.427 mm.
Pour la focale 2800 mm (F/D = 10) :
- FOVL = 500″, soit 922 km
- FOVH = 400″, soit 738 km
Cela correspond à 0.39″/pixel, soit 720 m/pixel
Ce qui donne par rapport à la Lune complète
Et le champ capturé
Pour la focale 5600 mm (F/D = 20) :
- FOVL = 250″, soit 461 km
- FOVH = 200″, soit 369 km
Cela correspond à 0.20″/pixel, soit 360 m/pixel
Ce qui donne par rapport à la Lune complète
Pour la focale 7800 mm (F/D = 27.9) :
- FOVL = 179″, soit 331 km
- FOVH = 143″, soit 264 km
Cela correspond à 0.14″/pixel, soit 258 m/pixel
On est ici dans le cas de la résolution limite du plus petit détail observable qui lui s’étale dur 3.5 pixels ce qui correspond à une longueur de 903 m.
Ce qui donne par rapport à la Lune complète
C’est à priori le maximum de résolution que l’on pourra obtenir avec ce système
Pour la focale 1960 mm (F/D = 7) :
- FOVL = 714″, soit 1317 km
- FOVH = 571″, soit 1053 km
Cela correspond à 0.56″/pixel, soit 1029 m/pixel
Ce qui donne par rapport à la Lune complète
Il est évident qu’en pratique on ne tombera pas exactement sur ces chiffres, mais ces calculs donnent une bonne base de départ qui sera affinée par la pratique